Codex Gisle
Introitus Ps 138:18.5-6
Resurréxi, et adhuc tecum sum, allelúia: posuísti super me manum tuam, allelúia: mirábilis facta est sciéntia tua, allelúia, allelúia. V/ 1-2. Dómine, probásti me et cognovísti me: tu cognovísti sessiónem meam et resurrectiónem meam.
Dimanche de la Résurrection. C’est par la parole du Ressuscité même que s’ouvre la messe. Resurréxi. Je suis ressuscité. L’introït modifie légèrement le texte de ce verset pour rendre plus évidente la portée prophétique de ce psaume 138 et son accomplissement par le Christ. Là où les Pères de l’Église lisaient exurréxi au v. 18 et lisaient dans ce réveil la résurrection du Christ, l’introït chante plus explicitement resurréxi et on connaît ces manuscrits musicaux qui ouvrent le dimanche de Pâques par de grands R solennellement enluminés.
Mais la phrase ne s’arrête pas là ; la mélodie nous porte jusqu’à la fin du verset 18, ponctué par un premier allelúia. C’est le début de ces pièces ponctuées d’allelúia que nous retrouverons tout au long du temps de Pâques. Pendant quarante jours nous n’avons pas prononcé d’allelúia. À la vigile pascale nous l’avons retrouvé comme l’acclamation par excellence de l’évangile, puis comme antienne de communion. Mais là il valait pour lui-même. Ici il est une ponctuation, il est la louange qui devient notre respiration, notre souffle, tout au long du temps pascal.
Mais revenons à notre introït. Sa première phrase se clôt de manière forte pour ce mode, par une cadence fa mi. Elle reste dans un ambitus modeste, ré-sol, là où dans la suite de la pièce il s’étend du do au la. Cela permet de la lire comme le premier volet de ce que les allelúia ponctuent comme un triptyque. Cette première phrase s’amorce avec l’affirmation resurréxi dans l’intimité de la tierce ré–fa, puis s’ouvre à la quarte sur sol en s’adressant à quelqu’un : et adhuc tecum sum. Qui connaît le psaume 138 sait que c’est une parole adressée par le croyant à Dieu. Celui qui a vécu la nuit de Pâques sait que c’est la parole que le Christ adresse au Père, dans l’intimité filiale dont le jeu caractéristique du 4e mode sur le demi-ton mi-fa rend si bien compte. Car le Verbe est venu parmi nous sans quitter la droite du Père, comme nous le chantons dans l’hymne de la fête du Corpus Christi : Verbum supérnum pródiens / nec Patris linquens déxteram…
La deuxième phrase reprend sur le fa et étend l’ambitus d’un ton en s’élevant au la sur le mot posuiti qu’il accentue de ce fait : posuísti super me manum tuam. Cette main est celle qui crée, qui donne, qui venge, aussi. Ici, manifestement, elle ne punit pas, mais est celle qui a libéré de la geôle de la mort comme elle s’est posée sur Moïse et les prophètes. La phrase se clôt par un allelúia qui nous laisse suspendus au fa et ouvre au dernier volet du triptyque.
Cette troisième phrase étend d’un ton supplémentaire l’ambitus, vers le bas cette fois, vers le do qui souligne la première partie de cette phrase, d’autant plus que la cadence intermédiaire en ré-do de cette phrase est appuyée par une clivis épisémée. Mirábilis facta est est la partie la plus basse de la pièce, alors que le sujet de cette phrase (postposé comme le permet le latin), sciéntia tua en est la partie la plus haute, dont les deux mots sont accentués par le la. Plus basse, plus haute : aucune descente ou montée extraordinaire, mais un dépassement de l’intimité si serrée dans laquelle cette pièce nous maintenait jusque là. Car c’est pour nous qu’il est mort et ressuscité. C’est pour nous que d’abord il s’est incarné. De la crèche à la croix il n’y a qu’un pas. C’est parce que d’abord le Fils homo factus est, qu’aujourd’hui nous pouvons chanter mirabilis facta est avec lui. Cette fraction de phrase descend, comme il est venu parmi nous, comme il est descendu aux enfers. Et comme le chant s’élevait sur posuísti, il s’élève encore sur sciéntia tua : c’est le Père qui a posé sa main sur son Fils, c’est le Père dont la science est merveilleuse. Cette élévation de sa science n’est pas une gnose mais une éducation (ex-dúcere comme ex-súrgere > exurréxi), celle du Père qui pose sa main sur moi, m’élève et me fait reposer dans la paix ; paix que chante le double allelúia final dans la tierce modale mi-sol.
Einsiedeln, Stiftsbibliothek, Codex 121(1151), p. 205
Notons que dans le nouvel ordo la première lecture est tirée d’Ac 10, là où dans l’ancien c’est 1 Cor 5, 7-8 (d’où l’allelúia et la communion tirent leurs paroles) ; c’est un changement de lecture qui rend assez bien compte de la progression des antiennes : « Dieu l’a ressuscité le troisième jour. Il lui a donné de se manifester. » puis « nous (témoins) Dieu nous a chargés d’annoncer au peuple et de témoigner que lui-même l’a établi Juge des vivants et des morts. » Il n’y a pas de témoins de la résurrection. Il y a des témoins du Ressuscité et c’est ce qui nous sera narré dans la séquence.
Graduale Ps. 117:24; 117:1
Hæc dies, quam fecit Dóminus: exsultémus et lætémur in ea. V. Confitémini Dómino, quóniam bonus: quóniam in saeculum misericórdia eius. Allelúia, allelúia.
Ce graduel est chanté toute la semaine avec un verset différent jusqu’au samedi où ses mots deviendront le corps du verset de l’allelúia. Nous y reviendrons au temps opportun. L’antienne de ce graduel sert par ailleurs de répons tout au long des heures du jour, de cet unique et grand jour que constitue l’octave de Pâques.
Ce graduel porte particulièrement bien son nom puisqu’après un introït à ambitus modeste (la sixte do–la), le graduel s’étend sur une neuvième en nous conduisant graduellement du fa au do (Hæc dies), puis au mi (quam fecit…), puis encore un peu plus haut au fa (in ea) pour culminer au sol (quóniam).
La montée sur sol ne se fait que dans le verset, sur le premier quóniam. Elle est unique dans cette pièce et unique dans tous les versets du Hæc dies de la semaine (sauf le lundi de Pâques mais alors c’est sur la même phrase avec la même mélodie). L’Hæc dies nous fait monter et grandir dans la joie (exsultémus et lætémur) du jour que Dieu a fait ; le sommet mélodique de la pièce, sur sol, dans le verset, accentue le mot quóniam qui nous donne de reconnaître et de confesser (confitémini) la cause de cette joie : car il est bon.
Cette reconnaissance est tout entière soulignée par le rythme. Confitémini Dómino se chante avec un grande fluidité par des neumes légers qui deviennent plus amples sur la dernière syllabe de Dómino, avec deux épisèmes et la répétition mélodique fa-mi-ré qui prépare notre attention à cette affirmation quóniam bonus soulignée à la fois par le sommet mélodique et un rythme très large sur les deux mots : presque toutes les notes sont épisémées.
Le verset se clôt par le deuxième quóniam qui exprime dans un parallélisme très caractéristique de la poésie hébraïque une pensée synonyme de la première : quóniam in saeculum. Sa bonté est son éternelle miséricorde. L’affirmation est portée par une mélodie à la fois fluide et sûre qui nous donne de repasser par le fa grave du Hæc, comme une forme d’inclusion mélodique profonde du chant de notre reconnaissance.
Alleluia 1 Cor 5:7
Allelúia, allelúia. V. Pascha nostrum immolátus est Christus.
Le graduel tient son nom du fait d’avoir traditionnellement été chanté sur des degrés (marches). Il évoque également les psaumes graduels, psaumes des montées, chantés par les Israélites en montant les degrés du Temple quand ils venaient en pèlerinage à Jérusalem. Et c’est bien là que nous a conduit notre graduel : au lieu du sacrifice. Le verset tire son texte de la première épitre aux Corinthiens (première lecture dans l’ordo ancien, deuxième lecture au choix dans le nouveau ordo) qui se réfère à la Pâque dont il est question en Exode 12. La Pâque commémorera la sortie d’Égypte par un pèlerinage annuel à Jérusalem.
Et c’est bien cela que nous chantons : le sacrifice qui nous a libéré du péché et de la mort, la Pâque accomplie qu’est le Christ, mort élevé sur la croix, immolation (immolátus) sur laquelle nos voix s’envolent en un très long mélisme (plus long même que celui du jubilus !) qui accentue le mot en nous emportant très vite au sommet de la pièce sur la, qu’il fait résonner par répétition du motif mélodique. De là nous redescendons, comme bercés jusque dans le nom du Christ où notre voix trouve son repos en retrouvant l’ancrage dans la finale sol et la dominante ré.
BNF,Copte 13, fol. 276v, Saint Pierre et saint Jean au tombeau
Sequentia
Víctimæ pascháli laudes ímmolent Christiáni.
Agnus rédemit oves: Christus ínnocens Patri reconciliávit peccatóres.
Mors et vita duéllo conflixére mirándo: dux vitæ mórtuus regnat vivus.
Dic nobis, María, quid vidísti in via?
Sepúlcrum Christi vivéntis et glóriam vidi resurgéntis.
Angélicos testes, sudárium et vestes.
Surréxit Christus, spes mea: præcédet vos in Galilaeam.
Scimus Christum surrexísse a mórtuis vere: tu nobis, victor Rex, miserére. (Amen. Allelúia.)
On sait que la séquence est un chant essentiellement syllabique qui tient son nom du fait qu’elle se chante à la suite de l’Allelúia en tirant sa mélodie d’un jubilus. Ici elle n’est pas simplement une suite factuelle, elle est aussi une suite sémantique. La première phrase de la séquence, Víctimæ pascháli laudes ímmolent Christiáni, est un écho immédiat qui fait résonner d’une autre manière ce que nous avons chanté dans l’Allelúia. Le sacrifice de Pâques devient sacrifice de louange et ceux qui confessent le nom du Christ et le reconnaissent comme l’Agneau pascal (Pascha nostrum) portent le nom de Chrétiens.
La suite de la séquence accomplit ce que nous avons entendu dans la première lecture (cf. Ac 10, 37-43) : elle nous fait entendre les témoins du Christ, témoins de sa vie et de sa mort, témoins du Ressuscité « chargés d’annoncer au peuple et de témoigner que (Dieu) lui-même l’a établi Juge des vivants et des morts. » et que « quiconque croit en lui reçoit par son nom le pardon des péchés. ». C’est ce témoignage et cette foi que fait résonner la séquence.
Einsiedeln, Stiftsbibliothek, Codex 121(1151), p. 205
Offertorium Ps. 75:9-10.
Terra trémuit, et quiévit, dum resúrgeret in iudício Deus, allelúia.
Le texte de l’offertoire est tiré du psaume 75, chant de victoire, où Dieu brise les princes et vient « sauver tous les humbles de la terre » (75, 10b) ; on devine que c’est la présence du verbe resurgo, qui a déterminé le choix de ce verset. Il se lit avec la mémoire de l’introït où nous avons chanté Resurréxi, et adhuc tecum sum : c’est d’auprès du Père, où il siège, que le Fils viendra pour juger les vivants et les morts, comme nous le chantons dans le Credo. Mais le jugement que nous chantons dans cet offertoire n’est pas d’abord l’objet d’un espoir eschatologique ; elle est une victoire advenue.
Ce jugement est un phénomène cosmique qui fait trembler toute la terre, mais dont la justice fait trouver le repos (quiévit). D’où, aussi, l’élan avec lequel nous pouvons chanter dum resúrgeret, qui nous entraîne jusqu’au do, élan où nous demeurons pour la suite de la phrase in iudício Deus avec la quinte ré-la qui résonne sur in pour nous faire monter au do de nouveau. Et si nous ne chantions pas ce si naturel sur la syllabe -cio, nous pourrions presque nous croire dans un 1er mode. Les cadences qui ponctuent cet offertoire sont d’ailleurs en ré (sur quiévit et Deus) et ce n’est que l’allelúia final qui va nous conduire au mi.
Communio1 Cor 5:7
Pascha nostrum immolátus est Christus, allelúia: ítaque epulémur in ázymis sinceritátis et veritátis, allelúia, allelúia, allelúia.
La communion reprend le texte d’1 Cor que nous chantions déjà à l’Alleluia, en l’étendant au v. 7. Qui est familier cette épître sait que ce sont les croyants qui sont désignés comme les azymes.
La pièce s’ouvre donc sur le v. 5, ponctué par un allelúia chanté en un recto tono légèrement orné sur l’accent. Puis vient le mot charnière ítaque souligné à la fois par la seule répercussion de la pièce, épisémée de surcroît, sur fa et par le plus long mélisme de la pièce, qui nous enjoint à être conséquents : puisque le Christ notre pâque a été immolé, célébrons donc avec des azymes de pureté et de vérité, propos qui est appuyé par la répétition de motifs mélodiques qui oscillent presque entièrement entre la tonique fa et la dominante la. L’antienne se clôt par un triple allelúia dont la voix s’élève peu à peu, d’abord entre fa et do, puis entre do et la, et enfin entre fa et si bémol pour se clore, évidemment, sur fa.